Les origines du vocabulaire funéraire
Voici un constat : nous ne savons pas pourquoi nous appelons un chat un chat, ni une souris une souris. Nous utilisons ces mots communs de la langue française tellement souvent au quotidien que nous ne prenons même pas le temps de nous poser la question.
Et bien moi, si. Pourquoi dit-on un croque mort ? La mise en bière aurait-elle un rapport avec le houblon ? Est-ce que dans les pompes funèbres il y a une histoire de chaussures ? ... et bien d’autres encore.
C’est un sujet étonnant et très enrichissant, qui éloigne beaucoup de nos croyances et/ou méconnaissances sur le sujet. Il est grand temps de rétablir la vérité. Finalement, beaucoup de ces noms communs funéraires ont une histoire tout à fait singulière et passionnante.
LE CROQUE-MORT
Mot apparu en 1788 et qui désigne de manière plus ou moins péjorative ou amicale une personne qui s’occupe de la mise en bière du défunt dans un cercueil et de sa cérémonie. Dans un langage un peu plus soutenu l’on dirait plutôt porteur ou maître de cérémonie. Deux légendes entretiennent l’aura du croque-mort, dont vous avez certainement déjà entendu parler.
La première consiste à raconter (de préférence un soir pour avoir la chair de poule) qu’avant que la médecine ne connaisse un essor conséquent, la seule et unique manière de savoir si oui ou non la personne supposée était bien décédée était de …lui croquer un orteil (de son choix, bien souvent le plus gros). Si le défunt ne réagissait pas, alors l’on pouvait l’enterrer sans crainte qu’il ne se réveille. Assez peu ragoutant…
La suite de la légende bascule dans une mauvaise blague salace que je n’ai pas vraiment envie de vous conter ici.
La deuxième croyance nous fait remonter au Moyen-Age, à l’époque de la peste noire. Afin d’éviter d’être contaminés, les gens ramassaient les corps pestiférés non pas à mains nues, mais à l’aide d’une sorte de gros crochet appelé croc, pour les déposer jusqu’à la fosse commune.
Celle-ci paraitrait plus vraisemblable, mais non, ce n’est toujours pas la bonne explication, détrompez-vous ! En réalité, il faut revenir à l’étymologie de ce mot « croque ». Car « croquer » veut en fait dire « faire disparaître ». Donc croque-mort signifie faire disparaître le corps du mort. On peut rapprocher le mot croque-mort du mot sarcophage, qui, en grec ancien, veut également dire « mangeur ou destructeur de chair ».
Tout compte fait, ce petit surnom de croque-mort a une origine bien plus simple qu’il n’y paraît !
LA MISE EN BIERE
Je vous préviens tout de suite : cette expression n’a rien à voir avec la bière, boisson à base de houblon fermenté !
Il faut là aussi remonter à l’étymologie de ce mot bière qui désigne un brancard, une civière. Au Moyen-Age, le mort était déposé dans la fosse commune avec sa bière, comme un linceul.
Au 19ème siècle, le cercueil a connu un développement fulgurant. Il est devenu accessible au commun des mortels et a progressivement remplacé cette bière. Mais le nom est toujours resté pour être encore utilisé de nos jours où la mise en bière signifie le fait de mettre le défunt dans son cercueil.
LE CORBILLARD
Peut-être que vous pensiez comme moi que le corbillard, par définition, signifiait un corps allongé sur quelque chose de plat.
Et bien non, c’est bien plus intéressant que cela !
En vérité, le corbillard vient de la ville de Corbeille-Essonne. D’abord appelé « corbeillard », sorte de bateau qui naviguait entre le port de Corbeille et le port de Paris, afin de transporter des denrées alimentaires telles que des céréales, du vin, et des matériaux de construction.
Puis au 14ème siècle ce même bateau a été réquisitionné pour évacuer les corps des pestiférés dans les fosses communes de Corbeille-Essonne.
Le corbillard n’obtient son sens tel que nous le connaissons aujourd’hui qu’en 1789. D’abord tiré par des hommes, puis par un ou plusieurs chevaux selon sa classe sociale, il permet de transporter les défunts dans leurs lourds cercueils jusqu’à leur lieu d’enterrement. Certains véhicules étaient méticuleusement travaillés et ornés tels des œuvres d’art (pour les plus embourgeoisés bien entendu).
Au 20ème siècle les chevaux disparaissent petit à petit pour laisser place au moteur. Aujourd’hui il existe plusieurs marques et formes de corbillard, tout comme les voitures, et différents équipements et finitions intérieures.
Un musée est entièrement consacré au corbillard dans le Tarn-et-Garonne dans la petite ville de Cazes-Mondenard.
LES POMPES FUNÈBRES
Est-ce que les pompes funèbres ont quelque chose à voir avec les chaussures, plus familièrement appelées pompes ?
Et bien non ! et il faut encore ici remonter à l’origine du mot, c’est-à-dire à son étymologie. Car « pompes » en latin signifie « procession, cortège, apparat ». De là découle également l’expression faire une cérémonie en grande pompe, soit avec beaucoup de …tralala.
C’est autour du 17ème siècle que les cérémonies funéraires se développent, et donc le nom de pompes funèbres. Il s’agissait avant tout de mettre en scène bien souvent de manière exagérée tout le rituel qui accompagnait le défunt, des décorations très abondantes aux pleureuses payées pour pleurer, pour les plus riches évidemment.
Aujourd’hui, les pompes funèbres désignent l’entreprise funéraire qui organise la cérémonie dédiée au défunt, évidemment plus en grande pompe mais tout en sobriété, selon le désir du défunt et de sa famille.
LA MORGUE
La signification du mot morgue a largement évolué à travers les siècles. Son tout premier sens date de 1650 et désignait plutôt une expression sérieuse voire orgueilleuse sur un visage.
Puis en 1694, la morgue obtient son deuxième sens de guichet de prison d’où l’on observe avec insistance (certainement avec la mine du premier sens) les prisonniers avant de les faire définitivement rentrer.
Enfin en 1718 son troisième sens d’où découle son sens actuel est le lieu où l’on peut reconnaître les défunts exposés. Ce n’est que bien plus récemment que la morgue a obtenu un aspect plus scientifique avec l’institut médico-légal, où sont étudiés les corps afin de connaître la raison de la mort ou de faire avancer la science.
Aujourd’hui, les morgues se trouvent dans les hôpitaux ou maisons de retraite. Cette sorte de chambre froide permet aux défunts d’être conservés temporairement en attendant leur mise en bière. Le personnel de l’établissement se charge d’ouvrir et de refermer la morgue pour les visites des familles. Bien souvent au sous-sol du bâtiment, plus impersonnelle qu’une chambre funéraire, la morgue semble plus froide et l’on s‘y sent moins à l’aise.